La fugue
À SOS Jeunes – Quartier Libre, nous rencontrons régulièrement des situations de rupture familiale et/ou institutionnelle. Celles-ci peuvent prendre différentes formes dont les deux plus courantes sont la fugue et l’exclusion. Cette page a pour but d’apporter les notions théoriques qui entourent la fugue afin d’éclairer ce concept aux contours flous.
Un peu d’histoire :
La fugue est loin d’être un phénomène nouveau : de tout temps, les adolescents ont quitté le foyer sans y être autorisés mais les raisons et les réponses apportées à la fugue ont fortement évolué au fil des siècles.
Au Moyen Age, la fugue est souvent une fugue amoureuse où les deux jeunes amants s’enfuient pour pouvoir vivre leur amour loin des contraintes familiales. À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, elle se transforme en « vagabondage » et devient donc, pour l’état, un délit à réprimer en raison du contexte socioéconomique où les enfants des rues sont considérés comme un danger. Les mineurs vagabonds sont alors emprisonnés et ce, jusqu’en 1935, époque où le vagabondage est dépénalisé.
L’apparition, en 1965, de la loi relative à la protection de la jeunesse contribue également à un changement de vision des jeunes fugueurs qui ne sont plus perçus comme des mineurs dangereux mais comme des mineurs en danger à protéger. En 1991, le décret relatif de l’Aide à la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Communauté Française selon la Constitution) introduit une nouvelle conception du mineur : le jeune devient sujet d’une aide et non plus l’objet d’une protection même si les deux textes cohabitent toujours distinguant les mineurs en danger (décret de 1991) des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction (loi de 1965 revue en 2006). Depuis cette époque, la fugue est considérée comme l’expression d’une difficulté relationnelle entre le jeune et son entourage familial et/ou institutionnel. Le système de l’Aide à la Jeunesse a donc pour mission de travailler la relation entre le jeune et son entourage dans son milieu de vie pour tenter de pallier les difficultés rencontrées.
Même si la conception actuelle de la fugue est partagée par les professionnels de l’Aide à la Jeunesse, elle ne l’est pas forcément par les parents ou les référents légaux d’un jeune fugueur. La vision de la fugue et le sens qui lui est attribué peuvent fortement varier en fonction du contexte socioéconomique et culturel de la famille et des difficultés qu’une fugue peut engendrer pour le jeune et son entourage. C’est pourquoi, dans le cadre de ce site, il est important d’avoir une définition claire de la fugue.
Définition
Il est très difficile de définir la fugue car il n’y a pas de définition unique mais autant de définitions qu’il y a d’auteurs. Cette diversité s’explique par les différents domaines choisis pour approcher le phénomène : sociologie, droit, psychologie, éducation, etc. Chaque champ aura sa vision et donc sa définition de la fugue.
Dans le cadre du travail à SOS Jeunes – Quartier Libre, nous avons retenu une définition axée sur la description de la fugue nous permettant de l’identifier clairement. La fugue est la combinaison des éléments suivants :
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Être mineur
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Partir à l’encontre de la volonté parentale ou de celle de son substitut légal
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Passer à l’acte (passer au moins une nuit hors du domicile)
L’inclusion du passage à l’acte effectif dans la définition nous permet de distinguer les situations de fugue de celles où l’intention de fuguer existe mais n’a pas encore été réalisée. Cette distinction a un impact sur notre façon d’aborder la demande d’aide, notamment au niveau de la loi et de la médiation. En effet, dans le cas d’une fugue telle que définie ci-dessus, le jeune franchit un interdit fixé par la « loi » de la famille mais également par celle de la société, même si la fugue n’est pas un délit sur le plan juridique.
Notre expérience montre également que les parents peuvent être à l’origine de la rupture via l’exclusion de l’enfant du domicile familial. Ce processus d’exclusion s’enclenche généralement lorsque le dialogue parents-enfant devient compliqué et est source de malentendus et de tensions amenant les protagonistes à devoir s’éloigner pour éviter l’escalade.
Que ce soit dans le cadre d’une fugue ou d’une exclusion, la question du pourquoi est souvent centrale. Sur la page suivante, nous exposerons les raisons qui peuvent pousser un jeune à fuguer.
Les raisons de la fugue :
« Pourquoi les jeunes fuguent-ils ? » est une question complexe tant les réponses peuvent être diverses et variées.
L’être humain à tendance à penser que pour tout événement (la fugue par exemple), il y a une cause. Si elle est compréhensible, cette tentative d’explication conduit inévitablement à chercher et à désigner un coupable. On entre alors dans une spirale d’accusations où il ne s’agit plus de comprendre quel est le problème mais bien de se défendre contre l’attaque. Or, la fugue est rarement la conséquence d’une cause unique. C’est généralement la surtension provoquée par plusieurs difficultés qui amènera un enfant à fuguer. Personne n’est particulièrement responsable et tout le monde souffre de la situation.
L’adolescence est une période « propice » aux fugues. C’est en effet à ce moment que les relations entre les adolescents et leurs parents, voire les adultes de manière générale, demandent un réajustement. L’adolescent a toujours besoin de limites mais il a aussi besoin de tenter des expériences personnelles. Ceci implique, du côté parental, la capacité de lui faire confiance, la volonté de le responsabiliser progressivement et l’acceptation de certains risques. Les parents doivent être de véritables « funambules » pour garder un équilibre permanent entre limites et permissions, proximité et distance. À cela s’ajoute le fait que les adolescents peuvent vivre un malaise difficile à exprimer verbalement, ce qui complique encore la communication sur leurs envies et leurs besoins. La fugue sert alors à transmettre un message puisque les mots font défaut.
Évidemment, l’adolescence seule n’explique pas entièrement le passage à l’acte. Il existe toute une série de facteurs potentiels que Petitclerc livre dans une analyse sociologique de la rupture et des changements éducatifs. L’auteur part du constat que notre société vit actuellement une profonde mutation constituée de changements multiples à plusieurs niveaux (nouvelle façon de concevoir la famille et les relations au sein de celle-ci, les relations entre les générations, la transmission des savoirs, le travail, la réussite sociale, les moyens de communication, …). Dans ce contexte, la relation intergénérationnelle peut se complexifier, plus encore pour certains parents arrivés récemment en Belgique, où l’écart entre les générations est renforcé par des décalages culturels.
Les mutations, sont autant de facteurs explicatifs potentiels à la difficulté relationnelle du jeune avec ses parents, son (ses) référent(s), voire tout adulte. Citons entre autres :
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Un monde mobile et pluriel. Chacun partage sa vie en plusieurs lieux, chacun de ces lieux offre une pluralité d’opinions religieuses, morales, politiques mais aussi culturelles. Les adolescents sont donc exposés à de nombreux points de vue et les parents doivent de plus en plus expliquer, voire argumenter, le bien-fondé des repères qu’ils transmettent et des limites qu’ils posent. Cette tendance est renforcée par les nouvelles technologies telles que les téléphones portables ou encore Internet. C’est bien souvent l’adolescent qui apprend à ses parents l’utilisation des nouveaux moyens de communication. Ce décalage rend donc plus difficile l’assise de la crédibilité de l’adulte sur base de ses connaissances.
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La précarisation de la situation économique qui affaiblit aussi la position des parents. Chômage, problèmes de logement, d’accès aux soins de santé, aux loisirs, etc. sont des facteurs d’exclusion générés par la « société » pouvant provoquer une perte de crédibilité des adultes aux yeux de leurs propres enfants.
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La fragilisation de la cellule familiale. De plus en plus de parents éduquent leur adolescent seuls (plus de divorces, de séparations, les deux parents ne vivent pas dans le même pays, …).
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Des difficultés personnelles et/ou vécues au sein de la famille. La fugue peut traduire une souffrance au niveau de la relation entre le jeune et ses parents (manque de dialogue, excès ou manque de limites, difficultés au sein du couple, alcoolisme, secrets de famille, négligence, maltraitance voire abus sexuels). Elle peut également être le signe d’une difficulté interne et/ou liée à ses relations extérieures (difficultés amoureuses, scolaires, amicales, racket, questionnement sur son identité, sentiment de dévalorisation, mauvaise image de lui-même, humiliations par l’entourage, culpabilité de ne pas pouvoir répondre aux attentes de ses parents, etc.).
Chaque facteur pris isolément ne conduit pas forcément à la fugue, ni même l’addition de ceux-ci. C’est le sens attribué à ces facteurs par le jeune qui pourra l’amener à fuguer.
Il important de garder à l’esprit que le jeune fugue rarement par pur plaisir. La plupart du temps, la fugue est ambivalente dans la mesure où il lui attribue plusieurs fonctions :
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Faire passer un message à ses parents et/ou à son entourage (plus de dialogue, de confiance, de liberté, de responsabilités, …)
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Mettre des distances
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Fuir un problème auquel il ne peut plus faire face
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Tester l’attachement de ses parents à son égard
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Etc.
Dans le cas où le jeune est en questionnement quant à « l’envie de partir » sans pour autant fuguer, l’absence de passage à l’acte peut s’expliquer soit parce que les difficultés ont pu être abordées et travaillées, soit parce que le jeune a craint, par son départ, d’impacter sur la stabilité familiale. En effet, un départ a toujours un impact sur la dynamique familiale, ne serait-ce que par l’inquiétude que suscite l’absence d’un enfant car la fugue ressemble très fort à ce que la police appelle une disparition inquiétante.
Fugue ou disparition inquiétante ?
Ces deux notions sont régulièrement mises en parallèle car le résultat d’une fugue est le même que celui d’une disparition inquiétante : le mineur laisse ses parents ou son responsable légal sans nouvelle.
La police a établi une liste de caractéristiques qui permettent de différencier la disparition inquiétante de la fugue :
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Le jeune est physiquement ou mentalement handicapé et/ou nécessite une médication ;
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Il est âgé de moins de treize ans, n’est pas capable de se tirer vraiment d’affaire, ne connait pas (ou pas encore) les dangers que présente son environnement (ravins, cours d’eau, etc.) ;
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L’absence de la personne est en contradiction totale avec son comportement habituel ;
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Il est permis de supposer que le mineur se trouve en compagnie d’un tiers pouvant constituer une menace pour celui-ci ou qu’il est victime d’un délit (par exemple, le rapt).
Néanmoins, ce n’est pas parce qu’une disparition ne correspond pas à ces critères qu’elle ne doit pas vous inquiéter ou qu’elle ne peut pas devenir inquiétante. La disparition d’un mineur qu’elle soit liée à un enlèvement ou à une fugue n’est pas un acte banal. En résumé, nous pouvons dire que toute fugue est une disparition inquiétante mais toute disparition inquiétante n’est pas une fugue.
Contrairement à certaines croyances, la fugue n’est pas un délit. Le jeune commet une transgression car aucun mineur ne peut vivre hors du domicile familial sans l’accord de ses parents ou de son référent légal mais il ne peut être puni pour avoir fugué. Le jeune en fugue peut/doit cependant être signalé à la police afin d’avertir les autorités de l’absence du jeune et de marquer symboliquement l’inquiétude générée par cet acte chez les proches du jeune.